Data centers, regards croisés de deux experts
Les data centers sont des sites dédiés à l'hébergement, l'interconnexion et l'exploitation de serveurs informatiques et de télécommunications en vue, notamment, de stocker et traiter des données.
Ces infrastructures sont aujourd'hui devenues stratégiques pour nos sociétés, qui requièrent un accroissement permanent de la capacité de stockage des données et ont tendance à virtualiser de plus en plus leur infrastructure IT !
En novembre 2019, le site danois datacentermap.com recensait déjà 4 526 centres de traitement de données en colocation dans 123 pays. Un nombre en constante évolution, tout comme les besoins de financement nécessaires au développement de ces nouvelles infrastructures.
Nous avons demandé à deux experts du secteur, Romain Le Melinaidre, membre de l’équipe d’investissement d’InfraVia, et Laurent Merlaut, Senior Investment Officer et spécialiste Telecom chez Proparco, de partager avec nous leur regard sur ces « nouveaux » actifs, respectivement en tant qu’investisseur et prêteur long-terme.
Romain Le Melinaidre, Infravia Capital Partners
Investisseur Infrastructures
Romain a rejoint Infravia en 2014 après plusieurs années d’expériences en banque d’investissement : ABN Amro puis Royal Bank of Scotland à Londres, Société Générale à Paris.
Chez InfraVia, il est responsable de l’origination et de l’exécution de transactions. Romain est diplômé de l'EM Lyon.
1. Pourriez-vous décrire l’objectif poursuivi par InfraVia en investissant dans les projets Etix Everywhere, Next Generation Data (NGD) et Green Data Center ?
Ce sont trois situations différentes mais notre stratégie et le rationnel d’investissement restent les mêmes : on assiste à une explosion du volume de data produites, traitées et stockées ainsi qu’à un vaste mouvement de digitalisation qui affecte de très nombreux usages.
En particulier, le développement des solutions cloud, notamment cloud publics (AWS, Microsoft Azure ou Google Cloud) se traduit par des besoins grandissants en infrastructures : CBRE (groupe de conseil en immobilier d'entreprise) prévoit une augmentation annuelle d’environ 20% des dépenses en infrastructures cloud dans les prochaines années.
En clair, il y a encore besoin d’investissements pour augmenter les capacités de stockage. Cela étant, les niveaux de déploiement varient de pays en pays.
En Europe, le Royaume-Uni et l’Allemagne sont clairement en avance. Notre conviction est qu’investir dans des data centers permet de capturer la croissance de la data en bénéficiant de la solidité de cash flows de type « infrastructure ».
2. A quel stade de développement des projet avez-vous investi ?
Lorsque nous avons investi dans Etix, la société était encore une start-up qui proposait des solutions modulaires de stockage à petite échelle. Il s’agissait d’accompagner une jeune entreprise, avec un fort potentiel de croissance en apportant des solutions de financement adaptées. Dans le cas de Next Generation Data (NGD), nous avons misé sur un site wholesale / hyperscale avec 8 années de track record et une base de clients solide.
Dans les deux cas, nous suivons une logique « buy-and-build » : nous aimons investir sur des plateformes ayant un potentiel de croissance et d’extension important. Chez NGD, le campus représente près de 750 000sqf (approx. 69 700m2), soit environ 7 terrains de football ! Cela laisse de la place pour construire et se développer.
3. Comment est-ce que les data centers sont perçus dans le monde de l'infrastructure ?
Les data centers restent une classe d’actifs très jeune et souvent considérée comme « core-plus ». Lorsque qu’on analyse de près les business models, on constate de fait des barrières à l’entrée assez fortes (capital, localisation), une activité décorrélée des cycles économiques, des clients « sticky ».
On ne peut pas en dire autant sur certains segments considérés comme « core ».
Autre indication de la perception de plus en plus « core » des data centers : les institutionnels (assureurs et fonds de pension) sont de plus en plus nombreux à s’exposer à la classe d’actifs.
4. On observe que les agences de rating qualifient les data centers d'actifs immobiliers alternatifs, à l’instar de Fitch et de sa classe « Alternative Infrastructure Assets » (A-I-A) qui s’applique notamment aux financements de data centers. Ne devrions-nous pas considérer les data centers comme des actifs immobiliers ?
Historiquement, les data centers se sont beaucoup trouvés dans les portefeuilles de fonds immobiliers ou de private equity.
De nombreux fonds immobiliers sont à l’origine du développement de sites data centers.
Aldgate Developments recherche actuellement un acquéreur pour développer deux sites data centers à Dublin et à Londres pour un montant de 500 millions d'euros.
Mais l’emplacement n’est seulement qu’une composante d’un actif data center : gérer la connectivité ou l’accès à l’énergie est au moins aussi important aujourd’hui. Par ailleurs, le grand mouvement d’externalisation de l’informatique chez les grands corporates et SMEs s’est accompagné d’exigences relatives à la gestion et à la performance de l’IT sans compter que piloter une société de data centers nécessite des compétences et une organisation pour s’assurer du succès commercial et de la bonne maitrise des opérations. On est loin du mandat pur d’un fonds immobilier.
5. En tant qu’investisseur, d’où tirez-vous votre confort quant à la capacité de l’exploitant à « remplir » son data center ?
Comme évoqué précédemment, les perspectives de croissance de la demande en hébergement / data centers sont telles que les capacités existantes, sous réserve d’une localisation et d’une connectivité (c’est-à-dire l’accès à de nombreux opérateurs de transmission de données) adéquates, ne peuvent que se remplir progressivement.
C’est une question de temps. Il convient d’ailleurs de distinguer deux types de data centers :
(i) wholesale : ces data centers commercialisent des espaces dédiés à des clients dont les besoins sont importants. Les commandes varient de 100kW à plusieurs MW, le taux de remplissage peut monter très vite.
(ii) retail : on s’adresse ici à des clients plus petits, utilisant parfois juste quelques serveurs, ce qui peut impliquer une croissance moins rapide.
L’autre question implicite est notre capacité à retenir les clients existants et à limiter ainsi le « churn » client. Sur cette deuxième question, il faut savoir que le choix d’externaliser son infrastructure IT et/ou de choisir un opérateur est assez transformant quel que soit l’organisation.
Il s’agit donc d’un choix long terme, ce qui limite naturellement les départs de clients. Chez NGD, le churn est inférieur à 1% par an. On notera par ailleurs que la migration de serveur d’un endroit à un autre pose non seulement des contraintes opérationnelles fortes (interruption de service, mise à jour de la stratégie de connectivité, etc.) mais surtout représente un coût important.
C’est ce qui explique que la « stickiness » des clients.
6. Quelles évolutions avez-vous observées dans le secteur des data centers depuis votre premier investissement en 2014 ?
Du côté de la demande, l’évolution la plus spectaculaire concerne l’arrivée en Europe des grands fournisseurs de Cloud Public (dominé par AWS, Azure et Google), lesquels se sont beaucoup tournés vers des opérateurs indépendants pour satisfaire leurs besoins en infrastructure de stockage. Ces derniers représentent souvent 70 à 80% de la demande annuelle dans les pays où ils sont implantés. En parallèle, on a assisté une contraction de la demande provenant des SMEs / corporate en direct (marché du « retail colo »), par exemple dans les pays comme le UK ou la France.
On voit aussi émerger des besoins pour un nouveau type de data centers, plus décentralisé, bien connecté et plus proche des lieux d’utilisation. Il s’agit de data centers type « edge » qui permettront demain de répondre aux besoins liés aux déploiements des objets connectés par exemple.
D’un point de vue technologique, on a vu de multiples innovations en grande partie tournée vers l’amélioration de la performance énergétique des data centers, qui demeure le principal coût pour un utilisateur.
7. Le secteur télécom étant en constante évolution, ne craignez-vous pas une éventuelle obsolescence de ces projets ou des technologies sous-jacentes ? Quelle est la durée moyenne d'investissement ? Si l'investissement est de long terme, quelle est la stratégie d'InfraVia pour valoriser ces actifs sur une telle durée ?
Nous investissons précisément avec une logique long terme en nous assurant notamment que nos actifs auront une valeur bien au-delà de notre durée d’investissement. S’agissant des data centers, nous avons comme stratégie d’être propriétaire de l’infrastructure passive (systèmes de refroidissement, générateurs, etc.) dont les durées de vie sont généralement supérieures à 10 ans. Il y aura, certes, besoin d’investissements de maintenance à moyen terme mais le risque d’obsolescence et/ou technologique n’a rien à voir avec les serveurs par exemple.
Cela étant, nous observons de nouveaux usages nécessitant de nous remettre en question sur les aspects design de l’infrastructure et choix des équipements : demande de centre de données plus proche des utilisateurs pour permettre une réduction de la latence (élément critique pour le online gaming ou la diffusion large de contenu streaming…), ou encore l’augmentation de la force de calcul / haute densité (élément critique pour la simulation ou modélisation pour l’automobile, l’aéronautique ou bien l’intelligence artificielle). Pour tous ces usages, notre conviction est qu’il y a un réel besoin de davantage de capacité data centers dédiée.
Laurent Merlaut, Proparco
Senior Investment Officer Infrastructures, Télécoms, Energie
Laurent rejoint Proparco en 2016 après un début de carrière chez Alcatel-Lucent dans la vente des infrastructures de réseaux fixes, mobiles et les applications (marché émergents, Afrique, grands comptes européens) et 10 ans de financements structurés en banque commerciale (Dexia, Natixis) sur les secteurs des télécoms, les infrastructures de transport, et les énergies.
Laurent est ingénieur des télécommunications et diplômé de HEC Paris et CEMS (Bocconi, Milan).
1. Proparco accompagne les acteurs privés dans leur projet de développement dans les pays du Sud, et notamment en Afrique. Le marché des data centers est aujourd’hui encore limité sur le continent alors même que le digital est au cœur des économies africaines.
Comment expliquer un tel décalage ?
Les infrastructures de data centers sont encore très limitées en Afrique, à l’exception du Maroc, de l’Afrique du Sud, et dans une certaine mesure du Kenya. Dans les autres pays, à l’exception des opérateurs télécoms qui possèdent leurs data centers pour leur besoins propres, ces infrastructures sont quasi inexistantes a fortiori pour des data centers de qualité « Class carrier » (au moins « Tier 3 ») assurant une très grande fiabilité.
L’absence de ces infrastructures s’explique par le fait qu’il y ait encore très peu d’acteurs spécialisés dans les data centers sur le continent (de la Colocation ou du Cloud) capables de les déployer et de les commercialiser, et notamment de grands acteurs (américains et européens) des data centers. L’Afrique du Sud a vu naître un acteur local. La demande émerge rapidement et ces infrastructures sont en cours de développement ou de premiers déploiements.
Jusqu’ici les données étaient majoritairement hébergées sur des serveurs situés à l’étranger auxquels on accède par des câbles sous-marins. Toutefois (i) la hausse des volumes de données liée à l’essor des applications mobiles et de la vidéo, (ii) la sécurité (en cas de coupure de câbles sous-marins), (iii) la contrainte du temps de latence pour accéder aux données et aux applications, et enfin (iv) la « souveraineté » des données (ie le stockage des données en local, avec des standards de fiabilité, de plus en plus imposé aux banques, aux entreprises et aux administrations) imposent de déployer des data centers localement.
2. Proparco a participé au financement de la société Etix Everywhere. Leurs data centers modulaires séduisent un public toujours plus large, avec pour ambition de se développer sur de nouveaux marchés. Quel était l’objectif de l’accompagnement de Proparco ?
Notre objectif était d’accompagner ce développeur sur plusieurs marchés naissants, pour y faire émerger une première offre d’infrastructure de data centers «neutres » de haute qualité, destinée à l’hébergement de données des entreprises, banques, administrations, acteurs du numérique, et favoriser le développement de l’écosystème numérique local.
3. La question de l’alimentation en électricité est clé pour garantir le fonctionnement optimal d’un data center. Quelles alternatives émergent pour pallier cette difficulté, notamment dans les pays où la fiabilité du réseau électrique est questionnable ?
La sécurité d’approvisionnement électrique est fondamentale pour assurer la disponibilité du data center (niveau [de certification] Tier 3 ou Tier 4 par exemple) et in fine le bon fonctionnement des serveurs. Ceci est un défi notamment dans certains pays où le réseau électrique connait des coupures quotidiennes et des surtensions. Toutefois ce problème n’est pas nouveau et les opérateurs télécoms s’accommodent de ces conditions dégradées pour opérer des équipements critiques de cœur de réseau depuis plus de 30 ans.
La solution repose sur une conception technique intégrant de très forts niveaux de redondance de l’alimentation électrique, avec plusieurs niveaux de backups, correctement dimensionnés, un basculement sur batteries puis sur générateurs alternatifs, et enfin un excellent système d’opération-maintenance. Le dimensionnement des bâtiments doit également être correctement pensé pour ces conditions d’exploitation (résistance à la chaleur, climatisation, humidité, etc.).
4. Quels sont les principaux risques évalués avant de prendre une décision d'investissement ?
Chaque projet est spécifique, toutefois les deux principaux risques que nous analysons sont :
(i) le risque technique au sens large (performance, coût, délais, etc.), qui englobe la conception, la construction et l’exploitation de l’infrastructure. Un data center est un actif immobilier dédié au digital, il n’est pas particulièrement compliqué ou long à construire ou à opérer, mais cela doit être fait strictement dans les règles de l’art, en particulier en tenant proprement compte du contexte local qui peut fortement compliquer la donne (e.g. alimentation électrique, délais en douane, sécurisation des terrains, sous-traitants, etc .). L’expérience et l’implication industrielle et financière à long terme du promoteur sont clés pour la réussite de ces projets.
(ii) le risque commercial, qui comprend la commercialisation initiale pour « remplir » le data center, puis la bonne tenue dans le temps (performance, compétition, prix, renouvellement des contrats, etc.). Un élément de confort est que les data centers bien exploités affichent généralement des taux de renouvellement de contrats élevés car il est en pratique difficile et coûteux de « déménager » des serveurs sur lesquels tournent des applications et des données critiques.
5. En tant que prêteurs, d’où tirez-vous votre confort quant à la capacité de l’exploitant à « remplir » son data center? Demandez-vous des garanties à l’exploitant ?
Si les fondamentaux sont généralement positifs pour implanter un data center, avec une demande latente importante face à une offre locale quasi inexistante, on dispose dans le détail de peu de données précises pour analyser ce marché finement. Il faut faire réaliser une étude de marché spécifique. Dans certains pays, il y a un fourmillement de projets en cours, à des stades plus ou moins avancés, avec un risque de surcapacité s’ils se réalisent tous.
Un premier élément clé que nous évaluons avec l’appui de nos conseils est la pertinence du positionnement géographique du data center, qui doit à la fois être à proximité (i) de la connectivité fibre (locale et internationale vers les câbles sous-marins) (ii) du réseau électrique (iii) de l’activité des clients (business park…) et enfin (iv) dans un lieu sécurisé.
Sur les projets que nous accompagnons, nous convenons avec les développeurs d’une stratégie de gestion du risque commercial (ramp-up) qui repose généralement sur plusieurs aspects :
- un déploiement modulaire, avec passage à la phase suivante lorsque nous avons une bonne visibilité sur le remplissage de la précédente,
- une partie de capacité pré-vendue, même minoritaire, permettant un effet de démonstration et d’entrainement dès l’ouverture, ce point nous semble fondamental,
- une approche partenariale avec des acteurs locaux, crédibles, en mesure de faciliter la commercialisation.
Au cas par cas, nous pouvons demander des garanties particulières pour atténuer certains risques.
6. Les GAFA sont-ils finalement sponsors ou clients de ces infrastructures ? A quoi devons-nous nous attendre ?
A ce stade, les GAFA sont à notre connaissance plutôt clients des infrastructures. Nous anticipons qu’avec la croissance des volumes et de leurs besoins ils seront assez prochainement sponsors de projets, ou offtaker à 100%, comme dans le reste du monde.
7. On parle de pollution digitale, de réchauffement climatique, de protection des données personnelles : quels enjeux y-a-t-il à stocker nos données ? Dans ce contexte, comment promouvoir un développement responsable des data centers ?
Nous avons accompagné des projets d’infrastructures de colocation, qui visent principalement le stockage des données et l’hébergement d’applications (eg banques, entreprises, administrations, opérateurs) qui viennent en substitution de solutions soit réalisées à l’étranger, soit sur des supports « traditionnels » (serveur interne d’entreprise) peu fiables.
Il est clair que les data centers sont des actifs qui consomment de l’énergie. Les acteurs du numérique et des télécoms accordent une importance grandissante à ce sujet. A notre échelle, nous avons soutenu un premier projet de data center avec du solaire photovoltaïque colocalisé pour assurer une partie de l’approvisionnement, avec un plan de développement de cette capacité de production d’électricité. Il faut noter que sur nos géographies, il y a souvent un bénéfice coût à employer de l’électricité d’origine renouvelable, en plus du bénéfice climat.
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